•             Une halte s'imposa. Les quatre rhalds baroudeuses s'installèrent tant bien que mal sur les souches alentours et sortirent leurs vivres. La brise caressant leur peau humide en fit frissonner certaines; elles enfilèrent la veste de leur uniforme le temps du déjeuner.

                Ce premier repas de la journée s'avérait le moment propice pour faire un bilan de leur épuisante excursion matinale et l'endroit leur permettait de le faire sereinement. La zone, encore boisée il y a peu, était désormais une clairière parsemée de troncs. Ce fut la première fois depuis des jours qu'elles voyaient le soleil aussi distinctement. Impossible de l'apercevoir au milieu des bois, même lorsqu'il est, comme à cette heure-là, à son zénith. Au mieux une lueur fugace parvenait à trouver son chemin à travers le feuillage opaque de ces chênes titanesques.

                Une inspection des alentours s'avérait inévitable afin de s'assurer pleinement de leur sécurité. Les deux guerrières, à la peau couleur acajou, se dirigèrent dans des directions opposées, vers l'orée de la forêt. Elles s'enfoncèrent de plusieurs mètres à travers les arbres, leur uniforme rouge strié de jaune désormais hors de vue de leurs coéquipières.

                Celle à la peau brune sortit eau et provisions de son sac, ainsi que quelques fruits cueillis dans la matinée. Elle passa la main gauche devant son visage, faisant soudainement apparaître la moitié d'un masque. Blanc, pourvue d'une corne à son sommet, un sourire placide et un orifice laissant le champ libre à son œil droit couleur émeraude, il recouvrait harmonieusement la physionomie de sa tête.

                Elle enfonça ses doigts gauches dans son avant-bras droit et en extrait un poignard, entouré d'un anneau bleu. Sa peau ne présentait ni perforation, ni cicatrice et aucune trace de sang n'était visible. L'anneau ôté, qui disparu aussitôt, elle se servit de l'arme pour couper les fruits ainsi que la viande séché.

                La dernière, à la peau d'ébène, assit non loin de là, observait la carte entre ses mains. Ses yeux couleur azure essayait clairement de localiser leur position, sans grand succès.

                "Je crois bien qu'on est complètement perdu, se désespéra-elle.

    -        Aucun signe de cette clairière sur le plan? S'enquit la cuisinière improvisée.

    -        Malheureusement non, Malixia. Je ne pense pas qu'elle soit naturelle. Des Exions sont passés par là, arrachant les arbres sur leur passage. Une chance pour nous, ces traces semblent remonter à trois jours. Il y a peu de chance qu'ils soient encore dans les environs.

    -        Tu vois, Axane, c'est déjà une bonne nouvelle!

    -        Le problème persiste malgré tout, nous ne savons toujours pas où… Elle tourna la tête et sursauta. Bon sang! Tu m'a fais peur! Je t'ai déjà dis que ton Eroll Kor et son sourire figé me fichait la frousse.

    -        Qu'est-ce que tu peux être peureuse! Pourtant ceux d'Elix et de Xanera, tu les acceptes! C'est bon, pas besoin de te cacher les yeux, je l'enlève, ça te va?"

                Malixia passa sa main devant son visage et le demi-masque disparu, laissant de nouveau place à ses pommettes hautes, ses lèvres rouge sang et son petit nez.

                Le regard d'Axane se porta alors sur l'outil dont se servait sa jeune sœur pour préparer le repas. La nausée monta rapidement.

                "Malixia, ne me dit pas que tu te sers du poignard qui se trouvait en toi pour couper les pommes et la viande? Rassures-moi.

    -        Bah si. Je n'avais pas envie de fouiller dans les sacs pendant des heures pour trouver le fichu couteau de cuisine alors que j'en avais un sous la main, ou plutôt dans l'avant-bras. Cette blague la fit beaucoup rire.

    -        Super, je n'ai plus qu'a sauté le déjeuner. Merci sœurette, bien joué!

    -        Oh ça va! Toi et tes petites manies."

                L'aîné attrapa le sac le plus proche et farfouilla à l'intérieur. Elle en sortit un couteau en acier tranchant, l'air victorieux.

                "Tiens, le voilà. Maintenant tu remets l'Ahn Imel autour du poignard et tu le range. S'il-te-plaît.

    -        Puisque Mademoiselle insiste. Puis rajoutant à voix basse: Qu'elle emmerdeuse!

    -        Pardon Malixia?

    -        Rien, je disais "Regarde, Elix est de retour!".

    -        Si tu crois que je n'ai pas compris ton petit jeu tu te trompe, alors méfie toi. C'est moi le chef ici. Compris?

    -        Oui chef! S'exclama-t-elle ironiquement.

                Elix revenait au pas de course, une épée à la main. Lorsqu'elle fut proche, des créatures quittèrent à leur tour la forêt alentours, se dirigeant droit vers leurs proies.

                "Des Dissonants, hurla Elix. Elle rejoignit ses coéquipières, essoufflée, ses habits couverts de sang, un étrange sourie aux lèvres. J'en ai eu neuf, mais d'autres sont apparus.

    -        Tu peux estimer leur nombre? interrogea Axane. Une demi-douzaine?

    -        Une demi-douzaine? Ils sont des dizaines!

    -        Génial, on va pouvoir se défouler un peu. "

                Axane écarquilla les yeux, surprise. Comment peuvent-ils êtres si nombreux dans une zone si restreinte? Ce n'est pas normal. Le temps n'était plus à la réflexion, mais à l'action.

                "Elix, tu reste ici et tu en abas un maximum, feu à volonté. Malixia, tu reste deux pas derrière moi. On va les retenir jusqu'au retour de Xanera. Il n'y a pas de raison qu'elle ne s'amuse pas aussi. Compris?

    -        Oui commandant!

                L'Eroll Kor bleu cobalt d'Axane représentait un demi-visage souriant. Une fois porté, sa propriétaire sortit un cor de son épaule droite. Le son rauque qu'il produisit était audible des centaines de mètres. Aucun doute, leur équipière ne tarderait pas à revenir de son expédition pour les rejoindre afin de se dégourdir un peu.

                Malixia s'élança derrière sa sœur, armes en mains. Appelés Kix, elles sont dotées d'une lame courbe à double tranchant en forme de demi-cercle, reliées aux extrémités par une poignée d'un mètre de long.

                Situés à une trentaine de mètres, les Dissonants leur apparaissaient distinctement. Rien de bien impressionnant pour qui en a déjà rencontrés, d'autant plus que ceux-ci avaient été très malchanceux. Ceux au front étaient les seuls à posséder encore leurs deux jambes. Certains avaient gagnés, contre leur gré, une seconde tête, tout aussi difforme que la première, et tous se retrouvaient avec les membres placés aléatoirement. Un bras, deux bras, trois bras, dans le dos, sur la cuisse, une jambe au milieu du torse, des seins à la place des genoux…

                 Très mauvaise fournée! Songea Axane. Je vais devoir toucher deux mots au responsable de cette boucherie en rentrant. Il est temps pour lui de se reconvertir.

                Ces êtres ne poseraient aucun problèmes pour les deux guerrières qui leurs font face.

                Trois d'entre eux furent abattus par Elix grâce à ses fusils longue portée. La chef d'équipe ouvrit la voie, aidé de son Morgenstern extrait d'une de ses cuisses, une masse d'arme composé d'un manche surmonté d'une boule d'acier dotée de piques. L'arme s'abattit sur les Dissonants, les perforants de toute part. Le sang giclait en abondance, recouvrant sa tenue de combat en cuir rouge.

                Malixia tranchaient tout ce qui passait à porté de lame. Les bras et les jambes furent sectionnés en premier, puis les têtes suivirent le même chemin. Les troncs se retrouvaient ainsi dégagés de tous ses membres, la touche personnelle de la cadette de la famille Serex.

                Des bras entourèrent sa taille, ses épaules, sa poitrine et ses jambes. Elle chuta lourdement. Des mains puissantes agrippèrent son uniforme et ses armes, se baladant déjà sur son corps, cherchant un moyen de passer sous ses habits.

                Malixia savaient ce qu'ils tentaient de faire, et réaliser que cela allait se produire la fit paniquer. Sa respiration s'accéléra, son cœur battait à tout rompre, des larmes de terreur brouilla sa vue. Impossible de se libérer, ses bras tremblaient trop pour ça.

                Une main arracha le bas de sa chemise, exposant son ventre et une partie de ses seins à la vue de ces monstres. Leur but n'était pas le viol, mais la souffrance. Arracher, dépecer, mutiler…ils se plaisaient à faire aux autres ce qui leur était arrivé.

                Elix abattit un grand nombre des agresseurs, mais ils étaient trop nombreux. Dotés d'une puissance bien supérieure aux autres rhalds, ils tentaient d'étriper leur victime à la seule force de leurs doigts. Malixia se débattait, criait, implorait. En vain. Elle se résigna et attendit la mort, ô combien douloureuse.

                Un bruit d'os brisés lui fit rouvrir les yeux. Une giclé de sang lui zébra le visage.

                "Allonge-toi!"

                Elle obéit en un quart de seconde, fruit des années d'entraînement suivit dans le camp des Passeurs. Une masse d'armes la frôla, projetant trois créatures supplémentaires cinq mètre plus loin.

                "On dirait que je suis arrivé à temps, haleta Xanera.

    -        Je…heu…je te remercie. Une seconde de plus et…enfin, tu sais.

    -        Ouais, ouais. C'est rien ça. Tu m'en dois une maintenant et crois moi, je n'hésiterais pas à te le rappeler. Bon, ce n'est pas tout ça mais il reste encore un bon coup de balai à passer dans le coin!"

                Elle repartit en riant, la masse d'arme sur l'épaule, prête à en découdre.

                Malixia se releva, recouvrit son ventre autant que possible et observa un instant la scène sous ses yeux. Des créatures difformes, avec pour seul but la souffrance d'autrui. Des terres ravagées, peuplée de monstres titanesques immortels, et une poignée de soldats pour faire face et maintenir un semblant de paix et de protection…

     

                Voici le quotidien de l'équipe 6 des Passeurs de Crépuscule.


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